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boussole_barreeL'orientation des élèves sans boussole


Le diagnostic est établi depuis des années: trop d'organismes dispensent des services redondants. Un millefeuille coûteux et peu efficace. En matière d'orientation, pour répondre aux attentes des élèves et de leurs parents, l'Etat multiplie les initiatives... pas toujours à bon escient (Philippe Ruault). 

Le Service public de l'orientation (SPO) ferait perdre le nord à l'explorateur le plus aguerri. Certes, les informateurs sont nombreux. Et c'est bien là le problème! Centres d'information et d'orientation


(CIO), centres d'information et de documentation jeunesse (CIDJ), agences Pôle emploi, missions locales, cités des métiers, chambres de commerce, et bien sûr les innombrables initiatives associatives régionales: on estime ainsi à 8500 le nombre de points d'accueil plus ou moins dédiés à l'orientation.  


 "1,3 milliard d'euros :  c'est le coût des 8 500 espaces dédiés à l'orientation." Pour quel résultat ??

 

Une organisation en mille-feuille, indigeste et inefficace, où tout le monde, Etat, collectivités territoriales et partenaires sociaux, met la main à la poche. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie évalue ces dépenses à 1,326 milliard d'euros (étude menée en 2008 dans 19 régions).

 

Il y a pire. Même si le sujet est tabou - pas évident de jeter l'opprobre sur une catégorie de personnels -, il apparaît que les compétences des conseillers d'orientation-psychologues (les "copsys") sont régulièrement sujettes à caution. Ils sont montrés du doigt par les parents, les profs, et les élèves: une étude de l'Institut Montaigne réalisée en octobre 2011 à Monfermeil et à Clichy-sous-Bois soulignait qu'ils étaient "la figure la plus détestée par nombre de jeunes à la fin du collège, loin devant les policiers".


On reproche aux copsys, souvent en fin de carrière, d'être ignorants du monde de l'entreprise, pas assez proches des besoins économiques. A leur décharge, ils ne sont "que" 4500, soit 1 pour 1250 élèves, et, boucs émissaires faciles, cristallisent toutes les rancoeurs liées à l'échec. Vincent Peillon, ministre de l'Education, compte revoir leur statut.

 

Résultat, seuls les initiés, enfants d'enseignants ou de cadres maîtrisant les rouages du système scolaire, s'en sortent. Catégories qui n'hésitent pas, de plus, à se tourner vers les structures d'orientation privées, en plein boom, à l'image de l'Ecole des parents, qui offre des conseils gratuits... après un bilan payant (430 euros jusqu'en première, 520 ensuite).

Les autres naviguent à vue, effectuant des choix par défaut. Rien ne vient vraiment combler le trou noir de l'enseignement français, où se perdent chaque année quelque 150 000 élèves, sortis du système scolaire sans qualification et dont près de la moitié rejoindra illico les rangs des chômeurs...


A-t-on réellement cherché la solution?

 

Plus globalement, les erreurs d'aiguillage sont nombreuses, et difficiles à rattraper. Une enquête réalisée par l'institut de sondage CSA pour le compte de la Jeunesse ouvrière chrétienne en avril 2011 établit que 25% des 15-30 ans regrettent un choix dans leur orientation scolaire. Et que 37% d'entre eux attribuent ce mauvais virage au manque de bonnes informations...

 

Ce constat d'échec est ancien. Tous les ministres de l'Education l'ont établi. A-t-on réellement cherché la solution? La loi du 24 novembre 2009 a créé le Service public de l'orientation, ouvert à tous. Depuis, les délégués à l'information et à l'orientation (DIO) se succèdent pour le mettre en oeuvre. Jean-Robert Pitte, ancien président de l'université Paris IV-Sorbonne, est le quatrième, depuis 2006, à occuper ce poste - qui, à plusieurs reprises, a servi à recaser des hauts fonctionnaires.

Lui a été nommé en juin 2010. Même si les embûches sont nombreuses, il veut y croire. "La France est un pays où tout est très cloisonné, confie-t-il. Rassembler tous les acteurs sous un même toit, comme cela se fait dans les cités des métiers, est extrêmement compliqué. Certains pensent qu'ils n'ont pas besoin des autres, craignent de disparaître, protègent leurs intérêts corporatistes, rechignent à changer leurs méthodes..."


Sans compter que la DIO, si elle dépend directement de Matignon, doit travailler avec quatre cabinets différents: l'Education, l'Enseignement supérieur, la Jeunesse et le Travail... La simple collecte des signatures des ministres concernés (ils étaient cinq à l'époque du gouvernement Fillon), pour valider la circulaire du 26 mai 2011 sur la mise en place du Service public de l'orientation, aura ainsi nécessité plusieurs semaines de travail!

 

Un rapport du Centre d'analyse stratégique vient de dresser un premier bilan du SPO. Il est "contrasté" - mot poli pour dire mauvais. Certes, 120 territoires ont reçu le label Orientation pour tous, une façon de pousser les différents acteurs à collaborer. Mais le service téléphonique mis en place, le 0-811-70-39-39, ne répond en moyenne qu'à 550 appels par mois, largement moins qu'espéré. Au point que les téléopérateurs, désoeuvrés, donnent un coup de main à d'autres plateformes et répondent aux demandes de passeports ou d'état civil...


Le portail Internet Orientation-pour-tous.fr, lui, a reçu en moyenne 3040 visites par jour entre la date de lancement et septembre 2012 - loin des 3,4 millions de visites mensuelles du site Onisep.fr. Pour lutter contre ce déficit de notoriété, une nouvelle campagne de communication était prévue pour ce début d'année. Mais depuis, les lois sur l'école, sur l'enseignement supérieur et sur la décentralisation ont tout bloqué.

 

Laurence Debril, lexpress.fr , publié le 15/03/2013